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Parmi les artistes regroupés sous le nom générique de Sadler Art, se trouve Patrick Sadler, qui exerce une recherche artistique sur la prise de conscience de notre réalité et l’observation des phénomènes que nous y vivons.
Une question que l’artiste se pose est la suivante : Pourquoi représenter sur un support matériel quelque chose qui est d’abords vécu comme pensée. Autrement dit, pourquoi matérialiser nos projections? Et comment ramener, celui qui regarde ce support, vers cette pensée? Comment avec un objet artistique faire revenir un observateur vers lui-même et le faire se rendre compte qu’il ne voit que le reflet de cet objet avec son vécu? Pour cela, il est utile de choisir un sujet qui met en relation les quatre éléments (terre, eau, feu, air) s’offrant à notre perception. Le thème des nénuphars se prête bien à cette expérience philosophico-esthétique.
Peindre des fleurs sur l’eau permet de traiter plusieurs éléments simultanément. L’élément espace (considéré comme cinquième élément) est le contenant dans lequel les autres éléments constituent le sujet du tableau. Les formes que nous percevons dans ce milieu aquatique dépendent comme toute perception de forme de la distance avec laquelle nous les observons. Si nous nous approchons des formes d’une manière microscopique, les formes initiales perdent leur qualités originales. Une feuille devient un amas de cellules et en s’approchant encore plus, nous observons des molécules et d’encore plus près des atomes. Au delà, la manifestation matérielle est de l’ordre énergétique. On ne peut donc pas prétendre qu’une forme existe en elle-même, mais dépend de l’observateur et de sa distance par rapport à l’objet.

La perception d’une forme dépend aussi de l’énergie lumineuse. Sans lumière, les formes des objets ne sont pas visibles pour l’oeil. La lumière offre une réalité perceptible. Le réel perçu résulte de la capacité du récepteur. L’allégorie de la caverne de Platon où les ombres projetés sur les murs sont perçues comme réalité permet une analogie avec les projections de lumière sur la rétine de la cavité oculaire. Le peintre qui regarde, considère les ombres réfléchis des objets avec son mécanisme visuel comme réels. Notre esprit transforme un reflet lumineux en sensation solide. L’habitude de fonctionner ainsi depuis le plus jeune âge renforce notre croyance dans ce leurre. Notre pensée part d’un principe erroné et nous enlève d’une réalité absolue vers une réalité relative où notre intellection est soumise à l’illusion.
Notre vision est hantée par des fantômes lumineux, que nous rencontrons même les yeux fermés. Dues aux injections lumineuses précédentes, notre mental nous projette une lumière claire dans laquelle nous construisons notre univers, que nous vivons comme réel. Le peintre devant son étang de nénuphars se rend bien compte à force de l’observer, qu’il reçoit de l’énergie lumineuse variable. Cette approche phénoménologique est dépendante d’une expérimentation des phénomènes et de leur interprétation. Les peintures et dessins qui en résultent refont vivre l’expérience analytique de l’image perçue et conçue comme apparence et réalité de notre réel. La photo étant considérée comme se rapprochant le plus de la représentation de notre réalité, les effets photographiques qui apparaissent dans les travaux sont prenants, voire déroutants pour amener l’observateur vers une remise en question de notre croyance de la réalité. Au mieux, les couleurs dites non réalistes dans les travaux (où l’eau n’est pas forcément bleue et les feuilles ne sont pas typiquement vertes) produisent chez celui qui les regarde un effet de réalisme nous amenant à douter de notre conscience percevante.

C’est ce doute, qui permet de devenir conscient de la nature lumineuse de notre image mentale. Être assis devant un étang nous fait aussi expérimenter l’impermanence de notre impression. Tout bouge instantanément autour et à l’intérieur de nous. Une pensée ne dure que quelques instants et s’en va. La lumière, change et se meut sans retour. L’enchaînement des pensées construit un état mental instable. Nous formons un “je” intérieur face à un autre “extérieur” et croyons être. “Je pense donc je suis” part d’un principe erroné, car le “je” n’existe que momentanément et se reconstruit constamment autrement. Notre “je” n’a pas d’existence en soi, car on ne peut pas attraper une ombre sur les parois d’une caverne. Nous ne pouvons pas non plus attraper la projection rétinienne. Et on ne peut pas non plus toucher un nénuphar peint ou dessiné, car il n’a pas d’existence propre sur le support. Se rendre compte du phénomène illusoire permet de se détacher de nos croyances et des souffrances qu’elles engendrent. Même si nous vivons dans l’espace, nous ne pourrons jamais attraper cette espace avec nos mains. Et c’est aussi dans cet espace infini, qu’au lieu d’ouvrir notre esprit, nous l’enfermons dans les chimères.